« Non, de non. » Et ça grognes, et ça se plaint. Ça balance les trucs au lieu de les poser et ça regarde l'heure toutes les dix secondes. « Tous les matins pareils. » Tous les jours, oui. Tous les matins, ça se répète. Même agacement. Les nerfs qui montent, les mains qui se crispent, et de la vaisselle péter une fois sur trois. Mais ça c'est pas ta faute. Non, toi tu dors. Comme tous les matins. Tu as le sommeil lourd, très lourd et pour te lever c'est purement et simplement le calvaire. Ton lit si moelleux, si tendre et si chaud semble avec des bras. Deux bras puissants qui te bercent en même temps qu'ils te retiennent fermement pour t'empêcher de te lever. D'ailleurs, encore une fois ce matin, elle y va pas de main morte la mama, ah ça non. Elle t'envoie carrément le Carapuce ! Alors il monte tranquille jusqu'à ta chambre, il tire le drap, oui bien entendu, parce que la mama elle est pas stupide, elle veut pas avoir à tout changer, elle l'a bien éduqué … et là, il t'arrose. Et c'est qu'il y va pas de main morte la bestiole avec son Pistolet à O. C'est limite si tu restes pas coller au mur en mode Tritosor sur un caillou hin. Alors forcément, tu te lèves. Mouillé. Et tu vas prendre une douche, la seconde. Chaude cette fois, avant de descendre à la cuisine et de traîner jusqu'à une chaise tel un Chenipan asséché. « Pire qu'un Ronflex ! » Tu te serres un jus de baie. « Pas aussi gros. » … pas encore.


Il fait noir. Si noir. Pourquoi donc fait-il si noir ? Et puis, il fait froid. Tu ne vois rien, et pourtant tu te sens observé, entouré. Au nom d'Arceus, Cain, tu trembles. Où es-tu ? Comment es-tu arrivé là ? Tu as peur. Si peur que tu pourrais en pleurer. Tu appelles. Maman. Papa. Mais ta voix se perd. Tu ne l'entends même pas. Monde de silence. Tu es comme étouffé. Une larme coule, elle roule sur ta joue glacée. Tu te souviens t'être couché .. mais pas t'être éveillé. Tu te souviens pourtant de chaque matin, des réveils en fanfares de maman et de l'odeur de poisson dans la maison. Pourquoi est-ce que tu ne souviens de rien ? Est-ce que tu rêves … ? Oui. Bien sur. La voilà l'explication. Ressaisis toi Cain. Soit un homme, comme dit Tom. Un homme vrai, un vrai bonhomme. De ceux qui ne pleurent jamais, qui cachent leurs émotions et n'en parlent pas. Bombe le torse. Tu vas te réveiller. « Cain... » Cette voix qui résonne dans ta tête. Encore .. encore … Tu vas te réveiller. Oui, et pour forcer les choses tu te pinces la main. Le bras. Une fois. Deux fois. Trois fois. Ça ne marche pas. Tu oses alors un pas .. puis un second, tu te sens tomber. Le sol se dérobe sous tes pieds. Tu hurles. Mais tu n'entends toujours rien. Et puis le choc. Tu souffles. Tu couines. Ici, c'est moins sombre. Ou alors est-ce une simple impression. Non .. il te semble discerner quelque chose, là. Droit devant. Un mouvement. « Cain ... » Encore cette voix ... « Hé, est-ce qu'il y a quelqu'un ? » Pas de réponse. Évidement. Alors tu avances. Du courage, tu en as. Non, tu n'es pas une poule mouillée, et malgré la peur tu fais face. Tu frissonnes. Encore une étrange impression, comme si un regard était là, fixé sur ton dos. Tu avances droit devant, il n'y a rien. Alors .. tu en viens à te retourner. Tu hésites une seconde. Cette impression d'être épié t'effraies tellement. Mais tu le fais. Tu comptes. Un. Deux. Trois. Tu te retournes. Et puis tu hurles. A t'en briser les cordes vocales, tu te vides les poumons. Tu hurles lorsque ces yeux, son regard.. si rouge, si sombre, si grand, si imposant, si profond, si effrayant se plonge dans le tien jusqu'à atteindre ton âme. Ces yeux. Tu ne les oublieras jamais …


« Allo, Cain, ici Thomas. T'es au pays des Rondoudou ou quoi ? » Tu sursautes. Tu poses les yeux sur ton ami, un air de panique imprimé sur le visage. Tu t'es assoupi. Encore. Pas évident de passer d'un sommeil de plomb, à des nuits quasi inexistantes. Mais c'est comme ça. Depuis ton cauchemar sans fin, ta mésaventure au pays des rêves effrayants, dormir n'est plus dans tes priorités. Pas que tu ne veux plus. Plutôt que tu ne peux plus. Tu as peur. Si peur de fermer les yeux, peur d'y retourner. D'ailleurs, lorsque tes paupières se ferment, c'est ce regard que tu vois. Ces yeux. Encore. Toujours. « Qu'est-ce qui t'arrive mon pote, t'es carrément à l'ouest. » Tu agites la tête. Tu ne diras rien. Tu n'as rien dis. Même pas à tes parents. Tu as tout garder pour toi et tu as le sentiment que ce sera toujours le cas. Comment pourrais-tu raconter ça ? On te prendrait pour un fou. Non, tu préfères tout enfermer. Ça t'évite de t'y replonger. « Désolé, je pensais à autre chose. » Tu souris. C'est un sourire en plastique, ça. Absolument pas franc, ni naturel. Un truc bancal mais Tom, il est toujours à côté de ses tongs alors forcément … il capte rien. « A quoi ? A la petite blonde d'hier ? » Voilà à quoi il pense, cet espèce de pervers. Aux nanas. Dés qu'il en voit une, c'est une catastrophe. Il se transforme Ramoloss. La langue pendante, le trait de bave au coin des lèvres … et on ne parlera pas de la queue qui .. bref. « A ce qu'on va manger c'soir. » Dis-tu, en balançant une baie qui traîne dans le panier sur la table à la tronche de ton ami. « Crétin. »


« Oh mec … on dirait que t'as foutu ta tête dans l'micro-onde. » Té. Mais quel abruti ce mec. Mais au fond, tu le comprends. Tu dois pas être beau à voir la maintenant, tout simplement parce que c'est exactement la dix-septième décharge électrique que tu prends depuis le début de la journée … et que tes cheveux doivent en avoir prit un coup. La faute à qui ? Et bien, tu en viens à penser que les tords sont plus ou moins partagés. Toi, de par ton manque d'expérience. Ce Lixy, de par son caractère compliqué. Et ce dresseur qui avait cru bon de l'abandonner à ta porte, blessé, sans doute à la suite d'un combat acharné qu'il avait perdu. Ce Pokémon, c'est toi qui l'avait découvert, au beau milieu de la nuit. Enroulé dans une couverture, posé là sous la pluie juste à ta porte. Tu l'avais pris dans tes bras, tu l'avais fais rentrer, tu l'avais réchauffer avant de le conduire dans un Centre Pokémon et là … tu l'avais regarder, observer pendant des heures en grignotant tes poffins. Son regard t'avait captiver, et tu n'avais pas pu te résoudre à l'abandonner à ton tour. On te l'avait dit pourtant que tu n'étais pas le plus qualifié pour toi. Tu avais ce rêve de te lancer, de devenir Ranger, mais tu n'étais pas un dresseur. Le seul Pokémon qui partageait ta vie, c'était ce fichu Carapuce, aussi autoritaire que ta mère dont tu n'étais toi, jamais venu à bout. « Tu devrais le confier sérieux, regarde ta face .. on dirait un Sablette avec ta vieille coupe. » Tu te laisses tomber dans un fauteuil. Las. « Nan. » Et bah tiens, c'était prévisible ça. Style toi, t'allait abandonner. D'accord, t'étais du genre à rester enfermer à bouquiner, mais quand même. Tu avais de l'ambition, et des projets. « Il pourrait m'aider, à devenir Ranger. S'il me fait confiance, si on fait équipe. On peut le faire. » Tu le captes ce regard de trois pieds de long. Mais tu l'ignores., et ton ami finit par soupirer. « Bwah. Bonne chance alors, moi je reste pas dans le coin. J'tiens à mon brushing s'tu vois c'que je veux dire. » Té. « Mon pote, t'es aussi bien coiffé que le Racaillou du voisin. »


Tu gardes les yeux fixés sur ce type .. tu ne peux pas t'en empêcher. Il t'intrigue, autant qu'il te stresse d'ailleurs. Son regard froid. Limite glacial. Sa façon d'être avec son Pokémon. C'est à se demander ce qu'il fou là. Tu ne l'as jamais vu sourire, et ce n'est pas faute d'avoir essayer. Il n'est pas loquace non plus. Tu as beau aller le chercher, lancer des discussions, lui proposer des Poffins, rien n'y fait. Il s'enferme dans un espèce de mutisme qui te fais traîner des pieds chez toi chaque matin. Depuis que tu bosses ici, sur cette île, tout va bien. Tu apprécies ta vie. Tu aimes ce que tu deviens, cette tranquillité entrecoupée d'actions pas trop actives. Ce gars là, c'est le seul point noir de ta vie. L'ombre qui plane sur tes journées, et même lorsque tu le salues ce soir … il ne te répond même pas d'ailleurs. C'est peut-être ça la goutte, celle qui te pousse à empêcher le débordement, le tsunami dans cette relation chaotique entre ce qui est sensé être ton équipier et toi. « Je vous jour, j'en peux plus. Et pourtant vous me connaissez m'sieur. Mais là .. » L'homme se laisse tomber dans son fauteuil et soupire. Pas le première fois que tu rends compte de tout ça. Que tu t'en plains, même si au fond c'est loin d'être ton genre. « Bon. Vous en faites pas Blackthorne. On va .. le mettre ailleurs. Je vais voir pour vous assigner quelqu'un d'autre .. allez vous reposer. »


« On vous à trouver une nouvelle équipière. » Nouvelle. Tu hausses un sourcil.  « Une, et bah mon pote t'en as du bol. » Thomas, Thomas, Thomas. Non, il ne change pas et même depuis son arrivée ici il y a quelques mois pour ouvrir son commerce, tu n'en démords pas de cette conclusion. C'est rester un grand gamin. Ni plus, ni moins. Avec toujours les même obsessions. « La ferme. » lui lances-tu simplement. « Attends moi là. » Tu ne vas pas laisser traîner ça. Tu as une nouvelle équipière, tu vas la voir, la rencontrer, maintenant. La rencontrer … oui, mais lorsque tes yeux se posent sur elle, cette jolie rousse au regard émeraude, ton sang ne fait qu'un tour. Tu la connais. Tu te souviens d'elle. Si bien. Cela fait si longtemps, pourtant. Ça remonte à l'enfance. Tu t'étais réveillé, et elle n'était plus là. Tout simplement. Alors, tu souris. Simplement. Et puis, tu la sers dans tes bras. Contre toi. « Silver. »