Tu as mal aux jambes à force d'avoir autant marché. Tu as quitté la ville de Waurlhaul il y a peu de temps déjà et tu en es déjà à la ville la plus froide de Miranoir. Tu as fait un bon trajet, avec ton Mimigal à tes côtés, et tu n'as cessé de marcher. C'est tout ce que tu peux faire pour le moment, marcher sans t'arrêter. Tu fonctionnes avec l'auto-pilot, tu ne sais faire autrement. Tu touches instinctivement ton ventre. Jour pour jour, année pour année, votre fille aurait eu deux ans. Tu souffres, dans ton coeur, dans ton corps. Tout te fais sentir comme si tu t'étais prise un camion de dix mètres sur la gueule, comme si tu avais été happée de plein fouet par la vie. C'est souvent l'impression que tu as. Tu trembles, parce que tu ne peux presque plus te tenir sur tes jambes. Tu as froid, et malgré ton apparence impeccable, tu te sens misérable. Tu n'affiches rien, pourtant. Pas même l'ombre d'une larme - ton visage reste la glaciale Ariane que tous ont connu à Johto, il y a quelques temps déjà. Tu ne souris plus, tu as du mal à continuer sans eux. Heureusement que ton Pokémon est là. Tu files prendre une douche - tu en as bien besoin, et tu y restes un bon trente minutes. Tu pleures, tu hurles, même, sauf que personne ne semble t'entendre. Ta détresse est trop grande - tu as le mal partout dans tes veines, dans ton corps. Tu sors malgré toi, parce que l'eau se rafraîchit et tu t'occupes d'être belle. Comme toujours, ton apparence est soignée. Tu coiffes même tes cheveux et tu enfiles une belle tenue, et tu te regardes dans la glace. Prise de rage, tu lances un coup de poing furieux contre toi-même, contre ce reflet qui ne t'appartient plus. Tu ne te rends même pas compte des blessures physiques que tu infliges à ta main, tout ce que tu vois, c'est le reflet brisé et l'ironie du sort. Tu t'extirpes de ta chambre pour aller chercher des pansements auprès de l'infirmière, car tu as quelques coupures ici et là. Tu souffres aussi physiquement, mais elle est moins douloureuse que ta blessure intérieure. Puis en sortant, tu vois cet homme. Tu te dis que c'est impossible, qu'il est un reflet de ton esprit, que ce putain de mental te joue des tours mais... « Bash? » Ta voix tremble, et tu sens tes jambes te lâcher. Tu t'appuies sur le comptoir et tu serres les dents. Ta main te fait souffrir mais tu tentes de l'oublier, et tu demandes faiblement des pansements à l'infirmière. Elle part rapidement, mais toi, tu sombres tout aussi vite. Qui est cet homme? Tu t'en rapproches lentement, le visage détruit par l'émotion. « Tu es mort... » Tu souffles, près de lui. Tu souffres, malgré tout, malgré cet individu. Il ne peut être vrai.

C'est lui. Tu reconnaîtrais cette voix entre des millions et il a parlé, même si c'est sous le choc de votre rencontre, vos retrouvailles, il s'est adressé à toi d'une façon que tu reconnais sans hésitation. Il a la voix cassée même s'il veut être fort, et la tienne n'est plus solide du tout. Lorsqu'il propose de te soigner la main, tu la tends sans rien dire, en analysant les faits. Comment avais-tu pu le laisser là, pour mort, alors qu'il était bien vivant? « Je... Je suis partie en te laissant là... Je... » Jamais tu n'avais autant hésité à parler, jamais tu n'avais autant été incertaine de toi-même. Tu trembles et ça te fait peur, tu as peur d'échouer encore une fois. Tu as échoué en le croyant mort et en le laissant là, avec ses Pokémons blessés. Tu t'es sauvée, pour votre enfant, et ça n'a rien donné... Tu l'as perdue elle aussi. Ta détresse est trop grande, caverneuse, immense, pour que tu puisses mettre des mots dessus. Tu dois lui dire que votre fille n'est plus... Et pourtant... « J'ai aussi perdu le bébé... C'est ma punition pour t'avoir laissé là-bas... Oh... » Les larmes, ta voix qui craque. Jamais on ne t'a vue dans un tel état. Tu es vulnérable et tu détestes qu'on te voit ainsi, blessée et totalement anéantie. La vie a mis sur ton chemin cet homme et tu n'as pas réussi à le garder... Ni votre enfant... Tu tentes de te relever et tu fais signe à Bash de te suivre. Tu te diriges vers ta chambre, car tu en as marre qu'on vous regarde comme des extraterrestres. « Tu dois me détester... » Tu trembles, de tous tes membres. À peine ta main pansée que tu repenses au miroir que tu as brisé quelques minutes plus tôt. Les éclats de vitre se trouvent sur le sol, et tu n'oses même pas regarder ton reflet, qui représente ton coeur, à ce moment. Brisé.

Assis contre le matelas froid de ta chambre, tu sanglotes. Tu ne pensais jamais revoir ton amant, ton bien-aimé, celui que tu as cru perdre dans les bras de l'ennemi. Tu souffles lorsqu'il te dit qu'il ne te déteste pas, même s'il doit avoir beaucoup de mal avec la nouvelle. Tu le connais, et tu entends sa voix de briser en mille morceaux lorsqu'il parle... « Je n'ai jamais voulu tant de malheur pour nous. » Tu baisses le regard, les yeux remplis d'eau. Tu crains vraiment qu'il ne veuille plus de toi, et tu n'as jamais été aussi accablée. La vie, pourtant, te rend service en le mettant sur ton chemin à nouveau. Tu frissonnes. Lorsqu'il te touche, lorsqu'il te tient dans ses bras musclés, tu ne peux t'empêcher d'avoir envie de le toucher et tu le fais. De ta main apte, tu touches son visage et en l'espace d'un instant, tes lèvres retrouvent les siennes comme si elles ne s'étaient jamais quittées. Tu sens ton coeur, ton être tout entier exploser à ce contact et tu t'éloignes à contre coeur, posant ton front contre le sien. « Ne me quitte plus, mon ange. » Il est celui qui a toujours veillé sur toi, qui t'a guidée ici et là lorsque tu ne te sentais pas apte à le faire seule. Tu l'aimes, comme une dingue. « Je t'aime... » Tu souffles les mots contre ses lèvres. Tu ne veux plus aborder la perte de ton enfant; rien que d'y penser, tu souffres et ton coeur saigne abondamment. Tout ce que tu désires, c'est de profiter de ce moment, avant que la vie ne te le retire encore une fois.