c'est l'heure pour aller jouer
adrien & jahan

Pour échapper à la chaleur omniprésente à Saprule, j'avais choisi d'organiser le rendez-vous au café du Poffin. Quelle erreur. Assis à côté de la climatisation, je regardais mes mains fondre dans une marre de transpiration. Et encore, je n'osai pas imaginer comment Liam pouvait survivre sous son épaisse fourrure.
En plus de ça, l'état du café laissait sérieusement à désirer. L'odeur sucrée du sirop d'érable qui recouvrait ma galette avait vite été chassée par celle, plus âcre, d'un fumigène, sûrement due à une attaque de Smogo. Une serveuse passait l'aspirateur autour de moi depuis maintenant une dizaine de minutes, ce qui produisait un bruit d'enfer, comme si les combats ne suffisaient pas. Impossible de se relaxer sur le siège aux coussins rugueux qui rendaient toute position inconfortable. Et valait de ne pas regarder le plafond, qui semblait être devenu un haut lieu de tourisme pour une large arachnide et ses enfants. Bref, les conditions idéales pour savourer un bon petit plat.
Mais je devais bien patienter. Si j'étais venu dans cette ville au climat caniculaire où je ne connaissais personne, c'était pour une seule raison : mon frère. Jusqu'à maintenant, mes tentatives de reprendre contact avec lui avaient été vaines. Il avait toujours été froid, mais je ne pensais pas qu'il m'ignorerait totalement et refuserait de me voir. Je ne lui avais jamais fait de mal et, maintenant que j'étais totalement libre de mes actes, je voulais sincèrement lui rendre la vie meilleure. Bien sûr, lui aussi était libre, lui aussi faisait ce qu'il voulait, et il avait le droit de ne plus vouloir me voir, mais pour être honnête, ça me blessait. J'aurais aimé lui reparler au moins une fois. Et puis, c'était la seule famille qui me restait, la seule qui valait la peine d'être conservée.
C'est pour ça que je l'avais espionné. Oui, c'est pas bien, je peux aller en prison pour ça, non mais je me rends compte, la vie privée et blablabla. Toujours est-il que ça m'avait permis d'entrer en contact avec un jeune homme nommé Jahan, un ranger comme moi, qui était très proche de lui. J'espérais qu'il me servirait de médiateur, pour approcher Adam plus naturellement.
Le fumet agressif d'un curry qui piquait les yeux des clients sur un périmètre de plusieurs lieues me fit reprendre mes esprits. Je repoussai la galette vers Liam, n'ayant clairement plus envie d'ingurgiter quoi que ce soit. Ça commençait à faire longtemps que j'attendais ce Jahan et il ne daignait pas montrer le bout de son nez. J'avais pourtant été clair sur le lieu, la date et l'heure, et je portais une chemise à motifs de cacahuète pour qu'il puisse me reconnaître facilement. On ne pouvait vraiment pas me louper.
C'est alors que je vis s'approcher de moi un jeune homme au pas nonchalant qui m'adressait ce qui ressemblait à un sourire. Espérons qu'il avait une bonne excuse pour cet impardonnable retard.