▹ ft. Elisa

Les arbres défilent, plus vite, plus vite encore... J'ignore où je vais, j'ignore pourquoi il veut tant s'éloigner de notre bulle, de notre endroit, mais ses petites pattes violettes courent, courent encore et je suis, je le suis. Je l'ai perdu une fois, déjà. Je l'ai perdu une fois et mon cœur avait cessé de battre normalement. Sa disparition avait cassé des rouages que j'avais tant bien que mal reformés, imparfaits, fragiles aussi. « Cyti, attends-moi... » Je murmure, comme un appel à l'aide, essoufflée, de peur qu'on nous trouve, de peur qu'on le trouve qu'on me l'enlève. Je ne saurais continuer sans lui, il est ma moitié, mon tout. Mais il semble si différent, depuis le passage du Zoroark. Il semble si inquiet, si perturbé. J'ai changé, peut-être. Je suis plus légère, plus soulagée, plus calme. Les crises sont plus rares, mais lorsqu'elles arrivent, elles sont plus violentes que jamais. Je sais que je finirais par sombrer à nouveau, je le sais, il le sait. Ils le savent. Et pourtant je ne saurais m'exiler de ma prison de verre, elle est mienne, sécurisante. C'est mon endroit, mon lieu.

Voilà. Il a finalement disparu de mon champ de vision, et me voilà perdue entre les grands arbres, suffoquant presque de son absence. Les ténèbres sont denses, heureusement, mais la tête me tourne, je me sens défaillir, me raccroche à ce qui passe, aux branches des arbres, et les arbres se raréfient, là, il y a une colline. Et sa silhouette, finalement, derrière le dernier arbre qui nous sépare du vide, de la plaine herbue, du danger. Il fixe quelque chose, et j'approche encore en le fixant, il semble sain et sauf. « Cyti, qu'est-ce que... » Et tout à coup ça me frappe, comme si la foudre venait de secouer mon cœur, qui rate un battement. Blanche. Non. Ça ne saurait être possible, Blanche ne peut pas être là, Blanche est dans mon cœur, Blanche est moi, alors pourquoi je... « Toi aussi tu es venu voir les étoiles ? » Non, ce n'est pas possible. Ça ne peut pas être elle. Un fantôme, un souvenir de mon esprit qui me joue un tour, peut-être. Mais elle tapote la couverture, fait signe à Cyti dont elle doit voir les yeux brillants dans l'obscurité, ce dernier relève ses deux cristaux vers moi, me sondant, jaugeant ma réaction. Il savait. Est-ce que c'est père qui l'a guidée ici ? Est-ce que c'est père qui l'a renvoyée à moi ? Elle n'a aucune idée de ce qu'est ce monde, elle n'a aucune idée du danger qu'elle encoure à être exposée ainsi à la lumière, elle brûle, elle blesse. Non... Et pourtant Cytisus insiste, il glisse sa petite patte écailleuse entre mes doigts et m'entraîne hors du bosquet, mes jambes tremblent, je suis terrifiée. Complètement tétanisée par cette double présence, l'enfant et son pokémon. Un tableau de retrouvaille ? J'ai dû mal à y croire...

« Elisa... » Je murmure, en fixant l'adolescente. Qu'est-ce que j'ai fais... Qu'est-ce je t'ai fait ? Un coup d'oeil au ciel ne me laisse que peu de doute. Les étoiles. La nuit étoilée. C'est cela qui t'a guidé ici ? Peut-être oui, mais c'est père qui m'a guidée à toi. Je le sens dans chacune de mes veines, chacun de mes sens me le hurle. Comme s'il était là, dans la forêt, qu'il veillait toujours sur moi, de son œil bleu. L'air me manque, la parole aussi, Cyti me traîne derrière lui pour s'approcher pour gratifier ton Tarsal d'un regard vif. Ce dernier communiquait par télépathie, dans mes souvenirs, il ne pouvait pas ignorer mes appels de détresse, mes supplications, le silence est si fort à présent, dans ma tête, dans celle de mon pokémon qui ignore comment communiquer, qui n'a jamais su faire, un de nos point commun, à n'en pas douter. Pardonne moi, Elisa...

▹ ft. Elisa

Lentement, la panique vient serrer mon coeur. Loin, la joie des retrouvailles, loin, l'incompréhension. Maintenant j'ai peur. J'ai peur pour elle, comme avant. Comme c'était le cas, il y a si longtemps, lorsque Blanche foulait la terre et que Nyx dormait au creux de son coeur, de son âme meurtie. J'ai peur pour elle. Mais tétanisée, j'ignore comment réagir, pire que ça mon coeur se fait à ralentir encore et encore. Comme si le temps se détraquait. Comme s'il n'avait plus de sens. Elle tremble, elle panique, elle suffoque et je reste figée, si calme, si sereine. Non Nyx ... Non, tu ne peux pas faire ça. Tu ne peux pas la laisser dans cet état. C'est ta famille, ton sang. Alors réagis ! Lentement, ma main se tend vers elle, il faut la sauver, il faut l'aider, on ne peut pas la laisser dans cet état, non... Et pourtant, Cytisus attrape ma main, il la loge entre ses pattes et secoue doucement la tête, comme pour m'intimer de ne rien faire. Pourquoi ? Je jette un regard au Tarsal, paniqué lui aussi. Doudou. Relique de notre mère, d'un passé oublié, enterré. Reflet de mes cris, de mon agonie, de mes appels à l'aide restés sans réponses, si souvent. Il était là pour elle. Parce qu'elle était précieuse. Parce qu'elle devait être protégée. C'est ce que mère avait dit, quand j'avais voulu moi aussi un pokémon. Mais je n'en avais pas besoin à ses yeux. J'étais assez forte pour m'en sortir seule. J'étais assez forte pour garder la tête haute. Elle avait eut tort, mais c'était si loin que ça en devenait presque irréel pour moi. Elle n'existait plus, tout comme je n'existais plus vraiment non plus. A mi-chemin entre le cauchemar et la réalité. A mi-chemin entre l'horreur et l'illusion.

Blanche avait beau hurler de réagir de faire quelque chose, je restais là, les doigts mêlés à ceux du Ténéfix qui avait reposé ses prunelles sur la scène affreuse qui se déroulait là, à quelques mètres à peine, comme entourée d'un halo de lumière toxique. C'était cela. Ne pas l'approcher, ne pas l'affronter, rester dans les ténèbres, rester en sécurité. Rester ici. Et attendre que ça passe. Comme mes propres crises. Puis, j'ignore ce qui arrive vraiment. Peut-être les appels à l'aide du Tarsal, peut-être le vent qui se fait plus agressif, peut-être le temps qui se remet en marche, comme s'il voulait accélérer, rattraper ce que nous avons perdu durant tant de mois, tant d'années, peut-être Cyti qui desserre un peu sa poigne, mais ... Je cède. Elle est réelle, comme je l'ai été. Elle est si présente, il faut l'aider. Je ne peux pas l'ignorer comme elle m'a ignorée. Elle n'était qu'une enfant, elle n'est pas responsable. Et Blanche vit encore un peu, elle me pousse à réagir, à remettre mon corps en marche, à approcher, à courir vers elle, à me brûler et ça m'est égal. Et plus je cours, plus je réalise à quel point elle est loin, à quel point j'avais tort. Moi qui pensais pouvoir l'attraper, rien qu'en tendant la main vers elle, j'avais si tort. Et quand j'approche, j'ai déjà l'impression qu'il est trop tard. J'accroche mes bras à elle mais saurait-elle vraiment me voir ? Le peut-elle ? Le veut-elle ? « Elisa ... Elisa, écoute moi... » Je murmure, tremblante, peut-être autant qu'elle, avant de la serrer dans mes bras, de n'être plus capable de soutenir son regard. Il me fait plus mal encore que la lumière qui me brûle, qui rouvre les plaies que j'avais si longtemps cherché à faire cicatriser, à refermer, à oublier. Elle est là, elle est vraie. « Je suis là Elisa, je ne te laisserais plus jamais. Reste avec moi, je t'en prie... » Je supplie, alors que ma voix s'étouffe dans mon propre chagrin. Elle ne peut pas partir, elle ne peut pas me laisser, pas elle...