Les fumées blanches qui s'échappaient des lèvres des uns et des autres attiraient l'attention de Cassidy comme si tous l'appelaient, tantôt à droite, tantôt à gauche. Comme si la neige de rigueur à Sakai n'était pas suffisante, une brise se frayait un chemin entre les passants, griffant les visages.
Cassidy en avait les joues rouges. Le nez rouge. Les mains rouges. Comme si ça n'était pas suffisant, elle décortiquait avec lenteur une glace d'un blanc parfait. Elle s'était arrêté tant de fois chez le glacier de Sakai qu'elle en connaissait tous les parfums, qu'elle associait systématiquement à un endroit. Comme s'il lui fallait un goût pour chaque paysage, une odeur à laquelle se référer – c'était idiot, inutile surtout, mais avoir un tout de sensations l'aidait à se repérer, à s'adapter.
Elle se glaçait la langue alors que la nuit tombait sur la grande ville, laissant quelques flocons biller à la lumière de la lune. Le soir, à Sakai, elle avait toujours l'impression de marcher dans une infinité de diamants. Une pensée apaisante, comme celle du froid qui martyrisait sa peau fragile. Elle aurait peut-être un rhume demain. Peut-être pas. Ses jambes n'étaient pas loin de trembloter au contact de la neige – elle n'avait pas jugé bon de se vêtir plus que d'habitude, même si le soleil était bien loin de rayonner haut dans le ciel – mais un sourire étirait ses lèvres. Elle aimait Sakai. Elle aimait le froid, la neige, si loin de ce à quoi elle pensait ressembler.
Elle, elle se pensait un peu plus rayonnante, un peu plus enflammée. Elle aimait à penser qu'on s'y brûlait les doigts, qu'l n'y avait pas que son héricendre pour lancer des flammes. Le froid, ça bouclait la boucle. Ça lui apportait ce qu'elle n'avait pas, ça complétait le tableau. Elle aimait un peu penser qu'elle dénotait, dans la blancheur de la neige, dans la pureté des paysages. Dans toute cette lumière qui faisait briller la ville, quand elle s'enfonçait un peu plus chaque jour dans ce qui semblait être la partie sombre de la société.
Il y en avait d'autres comme elle. Il y en avait de là d'où elle venait, des tas. Kanto, Johto, ces régions qu'elle avait parcouru en étaient remplies, et elle détestait toujours s'en rendre compte. Elle haïssait le fait de se reconnaître en d'autres personnes, peu importe de quelle manière. Elle pouvait trouver une ressemblance physique, morale, caractérielle – rien de tout ça ne lui allait. Il y en avait d'autres comme elle, jusqu'à Steukin, jusqu'à Saprule. Des femmes plus ou moins jeunes qu'elle croisait au détour d'une rue, à l'intérieur d'un bar. Si elle n'y était pas obligée, Cassidy ne restait pas dans ces villes-là – elle allait et venait sur l'île, mais Sakai y était son point de repère. Parce que tout y était différent, qu'elle aimait l'animosité du temps. C'était comme être coincée dans une boule à neige dès qu'elle entrait dans la ville – parce que même s'il faisait froid ailleurs, c'était différent ici.

Cassidy sortit le bout de sa langue pour y essuyer le bout de ses doigts, sa glace enfin terminée. Il était temps de rentrer.
Elle se fiait aux lampadaires qui longeaient les routes pour retrouver le chemin, s'enfouissant plus dans son écharpe. Pour un instant, elle admira le ciel, comme si elle pensait pouvoir s'en faire un souvenir imagé qu'elle garderait toujours, dans un coin de sa tête – la minute d'après, elle l'avait oublié. Elle slalomait entre les gens, sans trop y faire attention, évitait les épaules qui lui arrivaient à hauteur de tête et les enfants qui bougeaient trop – elle avait dévié de son chemin, pour en éviter un puis deux, qui se coursaient entre les paires de jambes, jusqu'à en bousculer une jeune femme.
Elle déglutit.
Cassidy avait les joues rouges, mais de mécontentement. Elle ne faisait plus attention au froid, même si elle l'appréciait. Elle avait relevé les yeux vers cette autre aux cheveux de feu, et ses sourcils s'étaient froncés. Elle n'aimait pas cet elle qu'elle avait prit, trop sûre d'elle au point d'en élever le ton comme elle le faisait. Elle n'aimait pas pouvoir la distinguer aussi bien dans la nuit, même sans lampadaire à proximité. Elle n'aimait pas, que de tous les gens, ce soit tombé sur elle. Parce qu'elle était un brasier quand Cassidy n'était qu'une étincelle. Parce qu'elle était bien plus exceptionnelle, parce qu'on la remarquait – qu'elle était belle et que le paysage la sublimait plus encore.
Elle avait haussé le ton plus que d'habitude, parce qu'elle était bien fade sans ça, comparée à la furie face à elle. Elle avait haussé le ton et elle en serait bien venue aux mains, si elle lui en avait laissé le temps.
Cassidy se perdait déjà dans leur baiser avant de s'en rendre compte; elle détestait autant être tombée sur cet incendie qu'elle aimait déjà s'y frotter. Elle recula d'un pas en même temps que l'autre femme, la scrutant plus encore. C'est bon, t'es calmée ? Cassidy ouvrit les yeux un peu plus grand, laissa ses lèvres s'arquer en un sourire mal dissimulé. Elle resta silencieuse – miracle – encore un instant, avant de laisser s'échapper une voix plus douce que celles qui crachait des insultes un baiser plus tôt. Et c'est à moi que tu poses la question ? Elle en soulevait un sourcil, amusée de la réaction excessive qu'avait eu la jeune femme – peut-être la seule que Cassidy n'avait pas envisagée, mais bien plus agréable que toutes les autres. J'sais pas si c'est une habitude de faire ça pour toi, mais tu devrais pas fixer les gens avec cet air-là – ça pourrait devenir vexant, déjà, et t'es bien plus jolie énervée.

Je ne suis pas ... Énervée. Cassidy étouffa un rire bref.
La conversation des deux jeunes femmes aurait pu être écrite à l'avance pour une série télévisée tant elle semblait étrange. Si l'atmosphère se faisait pesante, ça ne les empêchait pas, d'un point de vue extérieur, d'avoir presque l'air de vieilles connaissances. Enfermées dans une petite bulle qui les séparait du reste, comme si l'animosité qui les animait ne se ressentait pas à plus d'un mètre de distance – pourtant, elles grognaient un peu, chacune à son tour, fronçaient les sourcils et respiraient trop fort. Cassidy avait beau se vanter intérieurement de son calme, de son self-control, elle savait bien qu'un seul mot de trop aurait vite fait de la faire dérailler à nouveau – restait encore à savoir si c'était pour se défendre ou espérer un autre baiser de la part de la rousse.
Cassidy examinait l'autre avec minutie, de sa colère mal dissimulée aux tensions de chacun de ses muscles. Elle n'était pas une experte, mais restait presque sûre qu'elle n'était pas ce qui était arrivé de pire à la rousse ces derniers jours. Elle tourna légèrement la tête, s'intéressant à ce que la jeune femme tenait dans ses mains, bien à l'abri au fond de ses poches, quand bien même ça ne la regardait pas ; puis, relevant légèrement le regard, aux teintes étranges de ses habits. Elle releva le regard vers son visage, enfin, ni trop vite ni trop lentement. Il était évident que l'une comme l'autre avaient une capacité impressionnante à s'embraser d'un seul coup, mais la situation avait quelque chose d'amer pour Cassidy – peut-être parce qu'elle savait que si elles s'enflammaient toutes les deux, la rousse s'allumerait d'un brasier impressionnant alors qu'elle, ne serait rapidement plus qu'un tas de cendres. C'était rageant, de croiser quelqu'un comme elle. Rageant, parce que sans le moindre effort, elle avait l'air de représenter tout ce que Cassidy aspirait à être. Tout ce qu'elle voulait dégager – elle voyait bien les regards extérieurs se tourner vers elles, mais peu s'arrêtaient sur elle. C'était la rousse, qui brillait le plus.
Étonnamment, elle n'en retirait pas que de la jalousie ; elle trouvait quelque chose de fascinant à cette jeune femme, différent du genre de fascination qu'elle éprouvait pour Giovanni et la Team Rocket. Elle n'avait pas envie d'en détacher son regard, ni même de s'en éloigner trop – son regard était captivé par elle, et la pénombre la rendait encore plus concentrée sur ce qu'elle regardait.
Une main vint se poser sur son épaule, la faisant sursauter en sortant de ses pensées. C'est quoi ton problème au juste ? Comme si elles avaient été prises dans une boucle sans fin. Si elle avait pour intention de résoudre chacune de leurs altercations comme la première fois, Cassidy était prête à s'engager dans un second round, et même un troisième. T'es qui ? Qu'est-ce que tu fais ici ? Cassidy haussa les sourcils, presque vexée – il n'y avait aucun moyen que la rousse ait pu savoir qui elle était, mais elle n'aimait pas spécialement que la question lui soit posée comme c'était le cas.
Pardon ? L'intonation de sa voix était entre la surprise et l'hilarité. Tu m'insultes et c'est moi qui ai un problème – on aura vraiment tout vu. Cassidy fit un pas en avant vers la femme, éliminant toute distance qui avait pu les séparer. Si elle relevait un peu plus la tête, elle pouvait sentir le souffle de l'autre s'écraser sur son visage. Faut pas être bien pour agresser les gens comme ça, vraiment. Cassidy posa son regard sur la main de la rousse, fermement appuyée sur son épaule. Son bras aurait pu trembler tant elle devait avoir froid. Cassidy soupira comme à son habitude, avant d'ôter son écharpe et la lui donner – presque poliment, seulement à moitié jetée sur elle. Délicatement, elle entoura le poignet de la jeune femme, détachant sa main de son épaule avant de la forcer à la remettre sagement dans la poche de sa veste. Elle ne la libéra pas de ce contact pour autant, ignorant le fait que c'était beaucoup trop pour une première rencontre. Cassidy. Une voix dans le fond de sa tête lui murmurait qu'elle aurait pu vomir, tant elles devaient avoir l'air idiotes vu de l'extérieur, mais Cassidy l'ignorait. Je suis un peu déçue, je pensais avoir enfin trouvé un peu d'action, et j'ai même pas de quoi gueuler un coup. Cassidy rapprocha davantage son visage de celui de la rousse, un léger sourire aux lèvres. Si j'te traitais de Tarinorme en gueulant un peu, tu recommencerais ?

Cassidy n'avait jamais vraiment eu de doute sur ses charmes, ses capacités de séductions. Elle savait se mettre en valeur de manière à obtenir ce qu'elle voulait, agir pour sauter plus ou moins rapidement les étapes d'une relation. Elle n'avait aucun souci à adopter une démarche féline, raccourcir une robe en la faisant remonter le long de sa cuisse ou quoi que ce soit de ce genre – il n'était pas rare qu'elle lance des regards insistants à de simples inconnus, qu'elle force le destin et crée un contact réel sans attendre. Cassidy n'était pas du genre à attendre; elle détestait ça; c'était elle qui faisait attendre. Elle se faisait désirer, comme une diva, comme celle dont on ne pouvait se passer – une sorte d'habitude, presque de réflexe, qu'elle avait de laisser les autres languir, quitte à être perdante au final. Elle décidait quand, où, ne se montrait que quand elle le voulait, n'agissait que quand elle le désirait; elle pouvait les planter au dernier moment, les joues rougies d'envie quant à la suite des événements comme ne leur laisser aucun répit. Cassidy mettait un point d'honneur à être imprévisible de ce côté-là.
Si on lui avait cependant dit qu'il suffisait parfois de hurler sur les gens pour être embrassée, elle aurait probablement poursuivi certains habitants de Miranoir en s'égosillant, courant gracieusement sur ses talons hauts. Dans le doute, elle attribuait cette bonne surprise à son charme sans pareille, son visage angélique – et certainement pas à un enchaînement quelconque d'événements dans la vie de la rousse qui l'a amené à agir ainsi. Impensable.

Plus le temps passait et plus Cassidy était intéressée par cette soirée, cette rencontre, cette conversation. Elle sentait chacun de ses mots disperser le feu de ses cheveux dans le reste de son corps, jusqu'à en avoir des étincelles dans le fond des iris. Passé l'instant de jalousie intense, Cassidy enviait ce feu – dans le sens où elle voulait le dompter, le contrôler, ne serait-ce qu'un peu. Elle aurait du avoir peur de se brûler, mais ça n'était pas le cas; quand bien même elle savait cet incendie vivant indomptable, elle n'avait pas envie de réfléchir. Essaye un peu pour voir. Elle sentait l'emprise de la rousse se resserrer sur son poignet, avant qu'elle ne vienne prendre ses lèvres d'assaut – pour le plus grand plaisir de Cassidy. Elle posa sa main libre dans la nuque de la rousse, intensifiant le baiser avant de le rompre, seulement une fois qu'elle était à bout de souffle – seulement quand elle y était contrainte. Elle ne pouvait s'empêcher de sourire; mais ça n'était pas le sourire niais d'un premier (ou second) baiser, ni le sourire méprisant, narquois et fier à en crever qu'elle portait habituellement. C'était quelque chose de plus doux – de plus... banal, presque; un simple sourire, qui ne dissimulait rien. Pas de grande joie ni de peine, c'était plus un automatisme qui l'aurait surprise elle-même si elle s'en était rendu compte. Elle tira un peu sur l'écharpe qu'elle avait forcé l'autre à porter, la rapprochant pour lui voler un autre baiser, beaucoup plus éphémère. T'es pas du genre qu'on défie, hein ? Cassidy étouffa un rire en se demandant ce qu'il se passerait si elle lui parlait de passer la soirée avec, si elle céderait facilement sous le poids de quelques insultes impensées. Cassidy baissa le regard vers la poitrine de la rousse – même pas pour la mater, seulement pour s'assurer de voir ce qu'elle pensait avoir aperçu. C'est pour ça, le sang ? On t'a trop provoqué et t'as craqué ? Elle n'abordait pas ça d'un air grave, le sérieux de ce genre de conversation lui passait souvent au-dessus. Ce qu'elle avait fait importait peu à Cassidy – qu'elle ait tué vingt innocents ou coupé sa viande trop violemment, ça ne changeait pas grand chose pour la blonde. Profitant d'un manque d'attention de la rousse, Cassidy plongea sa main dans la poche de l'autre, l'y laissant se réchauffer en se rapprochant un peu. Rien de plus, rien de moins. C'est quoi ton nom ?