▹ ft. Orion Zanders

Ainsi, il suffisait d'inscrire quelques mots sur un papier, pour attirer mes victimes. Mais les faits étaient différents aujourd'hui. Différents de toutes les autres fois. Différents et pourtant semblables, le mode opératoire ne changeait jamais. J'enroulai doucement le papier sur lui même et le liai d'un simple ruban émeraude, faisant signe à Digitalis d'approcher. Ce dernier, sautilla dans les brins d'herbe avant de se poser près de moi, me fixant de ses grands yeux un peu troublants. Alors que je nouais le ruban autour de sa patte, Cytisus s'agitait autour de moi, l'air de dire « On va avoir un invité ? », oui, je l'espérais sincèrement. Orion Zanders. Photographe. Originaire de Rosalia. Ce n'était pas innocent, de naître dans un tel contexte, n'est-ce pas ? J'avais vu ses photos, une fois. De vrais bijoux. De nombreux pokémons spectres et ténèbres les ornaient et ça éveillait ma curiosité. Il n'avait pas le profil type d'un fou de ténèbres et, d'une certaine façon, c'est certainement ce qui m'attirait, irrémédiablement. Ou ce qui l'attirait, lui, vers cet endroit. Ce qui l'attirait, lui, vers moi. Vers la sphère. Digitalis s'envolait, s'échappant par un des endroit de la serre où le verre avait éclaté, sans vraiment de raison apparente. Ou. Je ne m'en souvenais pas.


Il devait être environ neuf heures, il faisait nuit. Je savais qu'il viendrait. Je le sentais. Je le percevais. J'étais assise dans la serre, autour de la petite table de jardin, sirotant une tasse de thé. Cytisus était assis sur mes genoux et nous contemplions le ciel obscur. Digitalis était revenu, quelques heures auparavant, sa patte dénuée de message. Il n'avait jamais manqué à la moindre de ses missions, alors il n'y avait pas de doute à avoir. Orion serait là, dans quelques minutes, peut-être dans quelques heures, mais sa tasse était prête, de légères volutes de fumée douce s'en échappant. Cette fois, aucun additif n'avait été glissé dans l'eau colorée. Ce n'était pas mon but. Pas ce soir. J'avais besoin de quelqu'un, qui comprenait. Quelqu'un a qui transmettre. Un élève, peut-être. Quelqu'un qui écouterait. Quelqu'un qui ne chercherait pas juste à violer ce sanctuaire mais quelqu'un qui serait prêt à le préserver. Et cette personne, ça devait être lui. Peu importe les moyens à employer pour y parvenir. Orion était cet individu. Sans l'avoir jamais croisé, j'en étais pourtant intimement persuadée. Peut-être m'avait-on glissé l'idée... ? Distraitement, je passais mes doigts sur la surface de la clef de Nerium qui trônait juste en dessous de ma poitrine, au bout de sa petite chaîne argentée. J'ignorais où était Datura, elle devait certainement faire ses griffes quelque part. Quant à Digitalis, il était posé sur le bord du muret qui entourait la petite maisonnette dans laquelle je passais mon temps. C'était un endroit plutôt charmant, lumineux la journée, ténébreux le soir, rien de bien extraordinaire. Mais tout ici avait l'air si spécial. Si unique.

▹ ft. Orion Zanders

e détaille la végétation, celle qui -sauvage- semble faire peu à peu le tri entre les faibles et les forts, depuis mon arrivée. Certaines plantes se meurent, les grandes fleurs colorées ne sont plus mais, de toutes petites fleurs s'agitent, ça et là, de petites baies, rouges, vertes, noires. Parce que la nature choisi. La nature sait faire la différence. Elle sait retrouver de la beauté, partout. Elle sait remarquer les forts et annihiler les faibles. Elle sait reconnaître les vrais survivants. Et, ce n'est pas moi qui ai adopté cet endroit, non, c'est bien l'endroit qui m'a adoptée. J'exalte de me retrouver ici, j'exalte à l'idée qu'il vienne. Et il est venu. Il a répondu à mon appel. Digitalis le reconnaît, il relève les yeux, m'intime d'un simple geste de la tête que c'est bien lui. Car non, j'ignorais son visage. Il n'y a que l'oiseau pour trouver exactement la personne que je cherche. Ce grand oiseau noir, dominant le ciel, dominant les ombres. Alors qu'il approche, je resserre nerveusement la clef de Nerium. Oui, je suis nerveuse, malgré le masque charismatique, il subsiste en moi quelque chose de Blanche, quelque chose de fragile, de si facilement impressionné, si facilement blessé. Quelque chose que je déteste. Mais ce qui m'intrigue, ce sont ses pokémons. Un Absol. Absol est en tout point un pokémon fascinant. Annonciateur de chaos, d'annihilation. C'est un pokémon que j'ai vu à de nombreuses reprises, se tenant, ça et là, sur une falaise, parfois sur un toit. Un pokemon qui suit la mort et la désolation. Un pokemon parfait. Mais la petite créature qui s'approche est un Sepiatop, j'en connaissais l'existence, pas le nom, Orion vient tout juste de le prononcer. Par reflexe, je serre Cytisus qui, lui aussi, se blottit contre mon corps. Il n'est pas rassuré lorsqu'il y a du monde, il a toujours été ainsi. Et la proximité d'un pokémon qui partage son type avec le type psy ne l'enchante guère. Le type psy. Oui, parlons-en. Je les trouve inquiétants, ils n'ont rien de rassurant à mes yeux, rien de mystique. Seulement de la poudre aux yeux et de la manipulation. Il suffisait de voir le Tarsal d'Elisa pour s'en rendre compte.

Je lui lance un sourire alors que je relève les yeux et qu'il porte son attention sur l'Absol. Ce n'est un sourire charmeur, je n'ai jamais voulu être cette personne. Celle qui utilise son corps, ses charmes, pour parvenir à ses fins. Certes, des soupirants ce sont déjà aventuré au delà de la porte de la serre, mais ces derniers n'ont jamais obtenu ce qu'ils venaient chercher. Non, mon sourire est décrit dans les médias comme un sourire doux, tendre. Le sourire d'un ange. Je ne suis pas charnelle, je ne l'ai jamais été. Je ne veux pas laisser à quiconque l'occasion de voir mes cicatrices. De voir mes faiblesses, ainsi étalées à la vue de tous. Non. Personne ne doit savoir. Personne ne saura. Nyx coincée dans le corps de Blanche, qui aurait cru ça possible ? « Le clair de Lune était bien choisi. », je réponds, mais je mens. Je préfère encore les nuits sans Lune. Les nuits sombres, celles où l'obscurité est reine. Je fais alors un signe de la main vers le fauteuil qui se trouve à côté de moi, un geste gracieux, lent, puis je ramène mes cheveux sur mon épaule, ils chatouillent Cytisus qui joue avec. « J'ai supposé que vous prendriez une tasse de thé, avec moi. » L'approche était directe et pourtant si subtile. L'espace d'un instant, je regrettais, de n'avoir plongé qu'un sucre dans l'eau trouble. Les possibilités étaient si vastes dans ce jardin de sommeil, mais. Ce soir était différent, ce soir était mon soir d'abstinence. « On m'a conté vos captures. Absol, mais aussi un Medhyèna chromatique, m'a-t-on dit. », je soupire tout bas, ramenant ma tasse à mes lèvres, fixant la forêt qui borde la sphère de la serre, en face de nous. Je vois de temps en temps une ombre s'y agiter et, étant donné l'absence de pokémons ici, je suppose qu'il s'agit de Datura. Sinon, son œil bleu l'aurait trahi. Je relève les yeux vers Orion, puis penche légèrement la tête sur le côté, détaillant son visage, il dégage une certaine aura mystérieuse et pourtant, j'ai l'impression étrange de pouvoir le décrypter facilement. Peut-être est-ce une question de connaissances. J'en sais tellement sur lui, il n'est pas compliqué de se renseigner, les infirmières des centres pokémon sont extrêmement bavardes. « Vous avez également capturé un Évoli, j'ai juste ? » Voilà qu'on en vient à quelque chose d'intéressant. Je passe ma main sur le sommet du crâne de Cytisus qui dévisage l'inconnu de ses grands yeux brillants, de ces grandes pierres bleues qui semblent pouvoir dévorer votre âme et un clin d’œil, si on peut dire.

▹ ft. Orion Zanders

e regarde, j'assiste au spectacle qu'il m'offre, silencieuse, interdite. L'évolution du pokémon me fascine. Ce changement si radical, plus radical chez Evoli que chez aucun autre, toute cette normalité, balayée pour laisser la place aux ténèbres. Toute cette force qui irradie de lui, à présent. Bien sûr, j'ai un regard pour la Medhyèna qui s'allonge tranquillement sur le tapis d'herbe fraîche. Et j'échappe un sourire. Je n'ai pas de vraie conscience de la rareté d'un pokémon, de l'importance d'un chromatique. Je ne suis pas une collectionneuse, ni une chasseuse, je suis tout juste une dresseuse, en réalité. Je suis plus et moins que tout ça à la fois. Une folle, certains diraient s'ils savaient. Une passionnée, simplement. Passionnée par les ténèbres depuis toujours, depuis peut-être l'instant de ma naissance. Et voilà qu'il accepte mon invitation, qu'il laisse le liquide chaud et léger envahir ses sens, les endormir, faute d'endormir son corps. Pas de poison, pas d'artifices. Pas ce soir. Mes yeux se reposent sur le Noctali, Cobalt. C'est un nom qui lui sied à ravir en réalité. Peut-être parce son pelage sombre est parcouru des mêmes reflets que la nuit elle-même. Je croise le regard du pokémon, alors qu'Orion me propose d'aller plus loin. Rien qu'un peu. Juste pour voir. Mais Cytisus ne saurait le supporter, je le sais. Je le sens. Il ne se montrera pas violent, ni ouvertement jaloux, mais je sentirais sa rancœur et elle grandira en moi. Alors je me contente d'un signe de tête, ignorant la question. Cette distance, elle se doit d'être maintenue. Cette distance, ce masque, il existe pour une raison et Cyti n'hésite pas à me le rappeler. Il se serre davantage tout contre moi, dans mes bras, puis se fait l'extension de mon propre corps, il tend ses pattes griffues, maladroites, pour tapoter la tête du Noctali avant d'échapper son léger rire qui terrifie les mineurs. Un rire de Ténéfix tout ce qu'il y a de plus normal. Comme si c'était ce qu'il est. Comme s'il n'y avait rien de spécial chez lui. Et pourtant, tout dans notre contact semble prouver le contraire. Cette proximité qui nous unit n'est pas invisible. Je le sais. Mais je ne saurais la dissimuler. Pas ça. Pas lui.

« Il irradie de puissance, sous cette forme. Comme si elle lui était destinée. », je murmure, tout bas, détaillant le Noctali encore quelques instants avant de relever les yeux vers Orion. Il émet une telle pureté, quelque chose de spécial, quelque chose de particulier, quelque chose que les autres ont tant de mal à atteindre. De la pureté dans l'obscurité. Pas du mal, tout le monde confond, mais de la pureté. L'une de mes main quitte à nouveau Cytisus pour glisser contre la clef de voûte, un peu distraitement, comme si elle me ramenait à la réalité, comme si elle replaçait les choses. Et soudain, quelque chose traverse le fond de la serre, un bruissement menaçant et les griffes acérées de Datura se plantent dans le sol, à quelques centimètres de la Medhyèna chromatique. Je ne cille pas, comme si son apparition avait été naturelle, bien qu'elle ne soit pas contrôlée. Elle fixe la créature en émettant un feulement dangereux, prête à la découper en morceau au moins signe que j'approuverais. « Ce n'est pas un challenger, Datura. » Même pas un regard sévère, au contraire, celui qui se pose sur elle est d'une infinie douceur. Elle connait le jeu entre nous, le jeu de sa violence et de mes mensonges, elle le connait par cœur. Digitalis m'approuve d'ailleurs d'un croassement sombre dans la nuit de la serre, et je souris faiblement. Ces pokémons ont décidé de me suivre. Ils ne sont pas miens. Ils n'ont pas été capturés. N'importe qui pourrait les voler, les emmener. Se laisseraient-ils faire ? Rien de moins sûr. « Mes excuses. Datura est plutôt agressive envers les inconnus. » Comme s'il n'avait pas remarqué. Comme s'il avait pas vu ses pupilles vermeilles se poser sur lui, comme s'il n'avait pas vu l'envie de sang qu'elle transmettait, d'un seul battement de cil.