Afterglow.

Tout se bousculait dans sa tête, c'était un vrai foutoir ces dernières semaines. La vérité, c'est qu'autrefois, elle aimait Halloween. Autrefois, lorsqu'elle était encore Rose, elle aimait aller terroriser les enfants du quartier, les enfants de Voilaroc, toujours accompagnée par Nausicaa. Son seul ami. Lui, et son Chaglam. Mais maintenant... Maintenant tout avait changé. Maintenant, elle était seule. Et tous les gens du monde pouvaient l'accompagner, l'aduler, ça n'aurait rien changé. Personne ne la connaissait. Personne ne la connaissait comme Nausicaa avait connu. Personne ne la connaissait comme Hélio avait connu Rose. Ce n'était pas faute d'essayer. Arzhael essayait, véritablement, de percer ses défenses et s'il en avait fait tomber certaines, il n'en demeurait pas moins qu'il ne la connaissait pas. Il connaissait le leader qu'elle était, la femme, peut-être, mais certainement pas l'enfant terrifiée, certainement pas la petite créature fragile et inquiète de s'écrouler au moindre souffle de vent. Et le vent, il était glacé. Halloween et les rêves d'enfants étaient loin. Balayés par les responsabilités, balayés par les choix qu'elle avait prit. A croire qu'elle avait accumulé les mauvais, à croire que rien ne pourrait jamais la remettre sur le bon chemin. N'était-ce pas tragique de penser que durant tout ce temps, depuis toujours, depuis que Mars était Mars elle ne voulait qu'une chose : qu'on l'aime. Qu'on la voit. Elle voulait que son créateur la remarque, qu'il accepte, qu'il la félicite, qu'il l'apprécie. Et pourtant elle l'avait éliminé, pour clore ce chapitre, avec cette conclusion terrifiante que ça n'arriverait jamais. Même dans ses derniers instants, même s'il l'avait regardée au fond des yeux, même s'il avait vu à travers elle comme personne d'autre ne savait le faire, il ne l'avait pas aimée. Alors elle perpétuait son oeuvre. Elle changerait le monde, elle le façonnerait. Et enfin, on la remarquera. Enfin, on l'aimera. Enfin l'injustice de ce monde qui l'avait laissée de côté, inutile et brisée, serait réparée. Oui. Elle releva les yeux vers la lune, rougie par l'air glacial d'Octobre. Cette nuit était belle. Elle était froide, sans la moindre étoile, sans la moindre tache pour entacher l'immensité de cette voûte-mère. Le grand manteau écarlate de la rouquine dissimulait parfaitement son ventre qui devenait plus rond, de semaines en semaines. Elle craignait le dénouement, elle craignait qu'on puisse le voir, qu'on puisse reconnaître en elle le moindre signe de maternité. Elle n'était pas une mère, elle était une arme, elle était une instigatrice, une créatrice. Elle faisait trop écho à son propre parcours, et c'était impossible.

Quelque chose finit par la tirer de sa contemplation du ciel, finalement. Quelque chose de sombre, qui avait voleté dans son champ de vision. Des ailes. Un éclat pourpre, mêlé de rouge, d'orange. Elle tourna les yeux, fixant la créature qui l'avait approchée. Un Prismillon. Elle ne s'intéressait définitivement pas aux pokémons insectes, sans quoi elle aurait remarqué que ses teintes étaient pour le moins inhabituelles. Mais sa haine des insectes aurait dû la pousser à esquisser une grimace, à repousser la créature, à lâcher une répliquer cinglante. Tout comme elle aurait dû être accompagnée par Reaper. Mais ce jour était spécial, ce jour était différent et en ce jour elle était seule. Foncièrement seule. Extériorisant le manque cuisant qui ne faisait que croître, à l'intérieur. Mars ne serait jamais une femme comblée, même à la tête d'une immense secte, même à la tête d'une immense famille, même avec toutes les preuves d'amour du monde. Elle ne serait jamais comblée, car l'abîme à remplir habitait un vrai trou noir, capable d'aspirer tout le bon qui pouvait se risquer l'approcher, pour le transformer en poussière. Et, si son armure devenait diamant, elle n'en restait pas moins poussière, cendres à l'intérieur. Et cela, personne n'aurait rien pu y changer. Elle s'en persuadait, du moins. « Tu es belle. » Elle souffla, si bas que le murmure se perdit dans la brise glaciale de cette soirée d'automne. Puis elle releva finalement les yeux vers la forme qui approchait, avant de chasser les quelques cheveux roux qui dérangeaient sa vision. C'était étrange, de le voir ici. Au fond, ce n'était pas absolument improbable, c'était simplement étrange. Parce qu'elle se sentait vulnérable, et que c'était systématiquement le moment qu'il choisissait pour apparaître. « Deimos ? » Elle l'interrogea du regard, comme si elle n'était pas vraiment sûre qu'il s'agisse bien de lui et pourtant, même dans l'obscurité la plus totale elle l'aurait reconnu. Elle aurait reconnu le moindre trait de son visage, parce qu'elle les connaissait par coeur. Pas qu'elle ait passé tant de temps que cela à les observer, mais il avait suffit d'un instant pour qu'elle les imprime dans son esprit, persuadée qu'elle ne les oublierait jamais. Qu'il l'accompagnerait dans la tombe, de gré ou de force. Ils étaient liés, dans la solitude et le tourment.

Afterglow.

« Je te dérange, sûrement. Désolé. » Bien sûr, il dérange, et pourtant elle aimerait lui dire de rester, de combler un peu ce vide abyssal qui peu à peu la dévore, jusqu'à ronger les moins éclats de stabilités de son esprits, les moindres poutres qui maintiennent tant bien que mal la structure instable qu'elle est. Et qu'arrivera-t-il, si elle s'effondre ? Qui se repaîtra le premier de sa déchéance ? Elle aime à croire que ça ne sera pas lui. Elle aime à croire qu'il la regrettera. Elle aime à croire que quelqu'un, quelque part, se souviendra d'elle. Pour ce qu'elle a commencé à faire, peu à peu. Ce qu'elle espérait accomplir. Elle y croit toujours. Elle n'abandonne pas. Mais plus les secondes passent dans ce monde et plus ces rêves semblent se ternir, s'écailler, comme un tableau vit mal le passage du temps. « Tu te trompes. » Elle murmure, finalement, de sa voix presque fantomatique, un peu absente, un peu triste, finalement. C'est difficile de cacher ce qu'elle ressent à Deimos. Deimos n'est pas Saturne. Deimos n'est pas Arzhael. Deimos est plus proche de Reaper. Il s'est approché si près qu'il a pu lire au fond de ses yeux. Et elle n'aime pas l'idée qu'elle sait pertinemment ce qu'il a pu y voir. Elle n'aime pas l'idée qu'on puisse peser le poids de ses regrets, d'un simple regard, et pourtant. Pourtant elle le laisse approcher à nouveau. Sans repousser l'inévitable douleur qu'elle ressentira en le voyant s'éloigner. C'est inévitable, au fond, il porte si bien son surnom, il porte si bien les traits de son satellite. Et elle ferme les yeux, elle profite du vent froid qui lèche sa peau, comme cherchant le moindre contact, elle ferme les yeux et elle sourit, lentement. Il n'y a rien à dire. Il n'y a pas à parler. Et on ne peut pas dire qu'ils aient eu tous les deux de longues discussions passionnées depuis son retour, c'est même loin d'être le cas mais. Ils n'ont pas besoin de cela, pour se comprendre. Comme s'ils se connaissaient depuis toujours. Comme de vieux amis. Mais ils ne sont que des inconnus. Des inconnus dont les cicatrices se complètent parfaitement. Et finalement... Finalement elle se tourne finalement pour le dévisager, pour détailler ces traits qu'elle a apprit contre son gré et glisse ses doigts glacés contre son poignet, cherchant le contact du masque, pour le lui prendre. Elle affiche un air si grave, si sérieux, si doux à la fois. En quoi le mérite-t-il ? Elle n'en sait trop rien, c'est comme si elle n'arrivait pas à agir différent. Comme si, avec ce qui s'est passé il avait réussi à la rendre plus docile, à la rendre plus accessible dans toute son inaccessibilité. « Tu n'as pas besoin d'un masque. » Elle susurre, tout simplement, ces mots aux multiples sens, ces mots qui veulent dire qu'elle sait déjà tout de lui, qu'elle lit en lui, ou qu'il est déjà son propre masque, ces mots qui s'entremêlent et se perdent dans la nuit.

Afterglow.

« Toi non plus. » Il a quelque chose de presque surnaturel, à la percer à jour ainsi, comme un talent spécial, une capacité hors du commun que les autres mortels n'auront jamais. Elle ignore exactement comment il fait, mais il serait mentir que de dire que ça ne la pousse pas à une légère fascination pour lui. Le genre de fascination qu'un prédateur a pour sa proie, lorsque les rôles sont inversés, et que le prédateur lui même se met en danger. Elle ignore si elle l'apprécie, ou si elle le déteste, mais elle le comprend, et c'est sans doute ce qui rend les choses aussi compliquées et aussi simples à la fois. Bien sûr, certains diront qu'elle comprend tout autant Arzhael, ou même Saturne, mais non, c'est différent : elle les a décryptés, percés à jour, ils n'ont plus de secrets pour elle. Lui, c'est différent. Des secrets, il en a des tas, elle le sait, ils sont cachés là, au fond de ses yeux, si proche qu'elle pouvait les toucher, les frôler, mais si mystérieux qu'ils tomberaient certainement en fumée entre ses doigts glacés. « Chaque masque a une signification, paraît-il. Profonde. » Elle cille, un instant, comme espérant qu'il ne remarque pas qu'elle a bougé, qu'elle n'est pas la statue qu'elle prétend être, qu'elle n'est pas imbattable, qu'elle n'est pas immortelle, qu'elle n'est pas intouchable. Qu'elle n'est pas si inaccessible que cela. Il sait. Elle le sent. Il sait que quelque chose ne va pas, peut-être qu'il peut la sentir douter, peut-être qu'il voit l'abysse au fond de ses pupilles, plus noire que le plus profond des trous noirs. Et elle a l'impression de sombrer, l'impression que le sol vient de s'ouvrir sous ses pieds, qu'elle est partie dans une chute sans fin. Seulement, c'est faux : la chute, elle a commencé depuis longtemps. Elle a commencé là bas, aux colonnes lances. Cette foutue journée qui n'avait pas commencé comme prévue. Deimos, puis la disparition d'Hélio, et l'arrestation, pour finir. Quelques heures et sa vie vole en fumée. Quelques heures et plus rien ne sera pareil. Elle continue de se persuader que ce qui a été défait peut être refait, mais à quoi bon ? Elle était si imparfaite, la première fois, et ça ne va qu'en s'aggravant. Elle s'en rend bien compte à présent : le monde doit-il vraiment être changé ? Est-ce vraiment lui le problème ? Peut-être que tout vient d'elle ? Que les vagues d'amertumes se propagent, que les secousses n'ont qu'un épicentre : et c'est elle. Personne d'autre. Pas Hélio, pas Jupiter. Non, juste elle, la création ratée qui détruit le créateur. « Deimos, tu ... » Et elle hésite, se coupe en plein élan, comme si, finalement, il n'y avait pas de mots pour ce qu'elle ressent à cet instant, ce qu'elle a envie de dire, et les mots se mélange dans sa tête, ils se bloquent dans sa gorge, c'est si intense, si insoutenable qu'elle en vient à baisser les yeux, souriant faiblement. Il est hors de question qu'il la voit comme ça, et pourtant elle n'a pas la force de reculer, et ses yeux s'emplissent de perles salées. Jamais elle ne relevera la tête, tant que ça ne passe pas. « Comment est-ce que tu fais. Comment est-ce que tu fais pour me percer à jour ? » Sa question n'en est pas vraiment une, oui, elle veut savoir, elle veut une réponse, mais son ton n'est pas interrogatif, il est juste faible, et perdu. Peut-être qu'il a brisé quelque chose en elle, avant que les autres ne portent les coups restants, peut-être qu'il a commencé à fêler ce qu'Hélio a achevé de faire, en l'abandonnant intentionnellement. Elle ne saurait dire.

Afterglow.

« On se ressemble. » Et, un court instant plus tard : « Nous pensons de la même façon. » Elle voulait croire qu'il le pensait et qu'il avait raison. Elle voulait croire qu'ils puissent si facilement se comprendre, et s'obstinait à penser que c'était sans doute le cas, qu'elle avait un véritable allié dans cette guerre sans fin. Mais était-ce vraiment vrai ? Au fond, Deimos l'aurait certainement protégée et soutenu face à toutes les influences extérieures, face à tous les dangers. Mais le danger... C'était elle. Elle, à la dérive. Sans son soleil. Sans cette lumière aveuglante, plus lointaine que tout mais dont elle avait été la plus proche. C'était un fait : Mars, la plus proche du soleil astronomiquement parlant. Jupiter et Saturne n'avaient rien pu contre ça. Contre elle. Sauf que, maintenant qu'elle avait éliminé les menaces, au points d'annihiler cette étoile brûlante et terrifiante, elle s'en retrouvait fort dépourvue. Elle devait devenir son propre soleil. Devenir sa propre étoile. Mais elle était mauvaise à cela, bien trop instable, et fondamentalement trop froide. Il ne manquait qu'une étincelle. Une seule...

« Tu es une partie de moi. » Elle murmura, alors que son sourire s'intensifiait légèrement, sans pour autant qu'elle relève les yeux. Les hormones de la grossesse la mettait tellement sans dessus dessous qu'elle en venait parfois même à pleurer en plein milieu d'une phrase, sans s'en rendre compte, alors se mettre à rire au milieu de ses larmes n'aurait pas été extrêmement surprenant. Une partie d'elle. Elle avait déclaré cela avec un tel naturel, un tel aplomb qu'on était forcé de constater qu'elle avait changé. Qu'elle s'était endurcie, que son armure solide était plus épaisse que jamais. Mais derrière l'armure, il y avait cet amas de lave glacée qui bouillonnait, prêt à congeler tous ceux qui osaient l'approcher, qui osaient la frôler. Mais Deimos... Elle n'aurait su l'expliquer. Quand Arz essayait de percer ses défenses, de se forger une place, Deimos avait trouvé un moyen radical de ne pas avoir à les franchir. Il était déjà à l'intérieur. Il supportait la lave, supportait le froid avec un calme olympien. Comme si rien ne pouvait le blesser, comme si rien ne pouvait l'éloigner, et ça, c'était si fort à ses yeux. « Sa couleur est inhabituelle. Où l'as-tu trouvée ? » Elle demande, désignant le Prismillon qui volete autour de son dresseur, alors qu'elle s'accroupit pour tendre ses longs doigts pales à Phobos, pour lui offrir une tendre caresse. Elle appréciait ce pokémon, ce Solochi qui ne quittait jamais son dresseur.

Afterglow.

« Mars, tes... » Pendant un instant, elle ne comprend pas. Elle ne comprend véritablement pas où il veut en venir, et pourtant. Pourtant elle sent les perles chaudes qui humidifient ses joues. Au fond, elle sait qu'elle ne va pas bien. Que les choses n'iront pas en s'améliorant, que la grossesse n'est pas son seul problème. Elle sait qu'elle va devoir prendre des décisions difficiles, qu'elle va devoir faire le tri et si ça lui plombe véritablement le moral, c'est aussi un poids réel qui pèse sur le moindre de ses choix. Comme si elle était bloquée dans une boucle sans fin. Comme si elle avait cette sensation désagréable que rien ne changeait. Que rien ne pouvait changer. Que tout était figé. Qu'elle était impuissante. Et oui, elle avait envie de pleurer, elle qui ne le faisait jamais, ou qui ne l'avait pas fait depuis une véritable éternité. Ce n'était pas juste des larmes de fatigue, ce n'était pas les larmes de rage qu'elle avait déjà versé par le passé. C'était vraiment de la tristesse. Mars était triste, et Mars demeurait inconsolable. Cependant, pas de sanglots, pas de soubresauts, pas de reniflement. Elle se releva et machinalement elle essuya ses joues d'un revers de main, excessivement calme. Elle acceptait sa propre douleur, elle acceptait qu'elle ne puisse être effacée, elle acceptait que le vide immense qu'elle ressentait dans les tréfonds de son âme ne puisse jamais être comblé. Et elle se devait d'avancer. Elle se devait de ne pas céder totalement aux ténèbres qui rongeaient son coeur, comme attendant le moindre moment de faiblesse pour frapper. Lâche, ça, elle ne l'était pas. « Ça ira. » Elle mentit, relevant les yeux pour croiser ceux si brillants, si clairs de Deimos. Elle ne cherchait pas à le convaincre, elle savait qu'il savait. Elle savait qu'elle n'avait pas besoin de s'efforcer de mentir, c'était juste peine perdue. Et l'instant d'après, elle est entièrement reconcentrée, elle fixe le ciel sans étoiles, elle glisse ses mains qu'on devine glacées dans les poches de son long manteau sombre et échappe un faible sourire, le léger nuage blanchâtre qui se forme devant ses lèvres trahit qu'elle vit encore. Pour l'instant. « Je vais faire bouger les choses. » Stagner, c'était mourir. Stagner, c'était pourrir. Elle lui lança un bref regard en coin avant de désigner le manoir dont les portes étaient encore closes d'un simple signe de tête. « Je vais profiter de cette diversion, pour récupérer l'orbe. » L'orbe, il savait de quoi elle parlait. L'orbe qu'ils avaient réussi à localiser tous les deux, à l'aide de quelques informations de Saturne. L'orbe, celle qui avait calmé la colère des deux légendaires, il y avait quelques semaines encore. Bien sûr, ça ne l'avancerait qu'un peu, elle ne savait pas encore exactement comment elle pourrait en faire usage, mais c'était déjà un pas. C'était déjà passer de rien à quelque chose, aussi infime ce quelque chose pouvait être. Néanmoins, la mission demeurait dangereuse, elle avait beaucoup à perdre, contrairement à avant, contrairement à lorsqu'elle n'était qu'une mercenaire, incapable de travailler en équipe. Au fond, Mars était une très mauvaise leadeur, elle n'était pas taillée pour cela, elle n'était pas taillée pour les ordres, elle n'était pas taillée pour déléguer. Et pourtant, c'était son rôle à présent.

Afterglow.

« Je peux y aller. » Il lance et elle répond, presque immédiatement. « Non. » Mais il n'écoute pas, et elle le vois bien, il continue, il insiste, il connait le travail, il connait le plan pour en avoir rédigé une bonne partie. Mais c'est sa victoire, ce n'est pas à lui de faire cela, c'est dangereux, mais elle a besoin de savoir qu'elle est encore capable et alors qu'il finit sa phrase, qu'il referme la bouche, elle serre les poings, approchant légèrement de lui, les yeux encore humides. « Non. » Elle est proche. Trop proche. Elle peut presque sentir sa respiration contre ses lèvres, elle peut voir au fond de ses yeux, malgré l'obscurité. Et ça devrait la déranger, généralement elle préfère ne pas être si proche des gens, à part lorsqu'elle les menace de mort, mais là, il n'en est rien. Elle ne menace personne, elle répète juste, une troisième fois. « Non, Deimos. » Et le silence retombe, il est lourd, plus lourd qu'il ne devrait l'être. Peut-être parce qu'elle semble si différente, peut-être parce qu'il semble si déterminé, elle ne saurait pas dire. Pourquoi elle s'obstine autant ? Elle pourrait lui dire, elle pourrait oui. Mais quelque part, ça lui pèse. Ça la gêne. Mais elle ne détourne pas les yeux, elle le fixe au fond des yeux, lie son âme à la sienne. Sans détour. Et finalement, le couperet tombe.
« Je refuse qu'il t'arrive quelque chose. »

Elle s'humidifie doucement les lèvres, reprenant, toujours aussi calmement. « Personne ne doit connaître ton visage. » Contrairement à beaucoup, dans la team, Deimos n'est pas de la chair à canon, il n'est pas une barrière entre elle et la prison, il n'est pas une personne à sacrifier. Et peut-être qu'il est simplement temps de le lui faire comprendre. Elle approche encore un peu, pose son front contre le sien, et ça sonne encore plus étrange, c'est si irréel. « Reste en vie. » Il voulait aider, et dans l'instant c'est tout ce qu'elle demandait, ce qu'elle murmura, lentement, avant de soupirer tout bas, sans bouger. Les secondes s’égrainèrent, et le silence lui-même semblait violent. Elle ne savait pas vraiment pourquoi elle ressentait cela, mais elle le ressentait, ce poids qui s'affaissait, à l'intérieur, qui emportait tout. Qui creusait le vide qu'elle avait l'impression de nourrir chaque jour un peu plus. De toutes façons, elle ne serait pas allée chercher l'orbe elle-même, elle pensait déjà à y envoyer Reaper. Il connaissait le plan, et c'était un voleur accompli depuis déjà un bon moment, il n'y avait pas de raison pour qu'il se fasse attraper ou qu'il échoue. De plus, il ressemblait à tous les autres Dimoret. Même s'il était spécial, elle n'aurait jamais soutenu le contraire. Et finalement, elle recula, lentement, comme si rien de cet étrange échange n'était arrivé, et elle ferma les yeux, affichant un léger sourire. « Tu changes déjà le monde. Tu changes le miens. » Le reste importait-il vraiment ?

Afterglow.

« ... Tu as aussi changé le mien. » Il répond, presque aussitôt. Et elle a beau le savoir, elle se sent troublée de l'entendre. C'est étrange, cette sensation qui soudainement lui serre l'estomac, creuse l'abîme un peu plus profondément. Avec Deimos, ça a tout de différent d'avec les autres. Avec les autres, tout n'est que jeu, elle le sait. Mais pas lui. Avec lui, chaque mot, chaque sensation est totalement pure, dénuée du moindre biais. Et c'est douloureux, cette pureté est si forte, cette obscurité qui vibre dans leurs cœurs respectifs est si profonde qu'elle pourrait facilement les engloutir. Car loin de se compléter, ils s'attirent vers le fond, toujours un peu plus bas, toujours un peu plus vite. Et l'atterrissage sera dur, elle le sait, mais la chute l'est aussi. A chaque seconde, son humanité s'émiette un peu plus. A moins qu'elle ne ressorte. A moins qu'elle ne se cristallise autour de ce vide béant. Rose semblait bien loin à présent, Rose semblait purement et simplement effacée. Morte. Et pourtant, c'est bien elle qui guidait le moindre des mouvements de Mars. Un autre nom pour une autre chose, plus vile, plus violente, mais plus brisée aussi. « Mais je suis prêt à tout. Je protège mes arrières. » Elle ne le regarde plus, mais néanmoins elle ne peut s'empêcher de sourire. C'est là tout le problème, elle a confiance en lui. Purement et simplement confiance. Plus qu'elle n'a confiance en qui que ce soit. Au fond, cette proximité qu'elle entretient avec Deimos est relativement proche du lien qu'elle a avec Reaper. Tous deux ont essayé de la tuer - plus ou moins volontairement - tous deux seraient prêts à mourir pour elle. « Je ne prendrai aucun risque. Mais je veux que toi aussi, tu te protèges. Tu ne dois pas tout assumer toute seule. Personne ne le peut. » Cette fois, son sourire se fane elle lève la tête vers le ciel, ferme les yeux, profite du vent glacial, profite de cet air respirable. Cet air pur et vivifiant. « Et pourtant, c'est la voie que j'ai pris. » Son air se durcit, lorsqu'elle rouvre finalement ses grands yeux noisette pour fixer l'immensité du ciel. Elle a l'air si seule, Mars, comme si personne ne pourrait jamais combler ce qu'elle s'est infligée à elle-même. « C'est le chemin que j'ai tracé, la destinée que j'ai choisi, lorsque j'ai regardé Hélio rendre son dernier souffle. » Elle en parlait peu, voire quasiment jamais, mais ça lui coûtait encore. Elle ne regrettait pas de l'avoir éliminé, elle regrettait de ne pas avoir été plus patiente, de ne pas avoir essayé un peu plus fort de faire en sorte qu'il la remarque, qu'il lui accorde ce qu'elle lui accordait. Mais en détruisant son soleil, elle avait écroulé toutes les lois de la physique, elle avait reforgé son monde. Et bientôt, elle reforgerait le monde entier. Et finalement, elle lui lança un regard en coin, un regard imprégné d'une telle force, ça en devenait troublant, lorsqu'elle avait ses périodes où elle semblait si inaccessible, si intouchable, lorsqu'elle semblait divine. « Et si on t'éloigne de moi ? » Elle demanda, sans esquisser le moindre sourire, il ne pouvait pas le voir d'ici, mais d'une certaine façon, elle retenait son souffle... Et ne s'en était même pas rendu compte.

Afterglow.

« Nous serons toujours liés. Quelque soit la distance. » Elle sourit, plus fort, alors qu'elle fixe toujours le ciel avec un air terriblement ailleurs, terriblement pensif, mais ce sourire, il est pour lui. Parce que, la plupart des gens qui lui ont dit ça - et je reconnais qu'ils ne sont pas nombreux - ne le pensait pas. Ils ne pouvaient pas le faire. Deimos, c'était différent. Elle savait qu'il le pensait. Elle savait que c'était réel. Que rien ne pourrait délier ce lien qui s'était forgé, plus pur qu'aucun ne pouvait l'être. Elle prit une profonde inspiration. « Ce ne serait pas plutôt toi qui t'éloigne de moi ? » Elle aurait dû ressentir cela comme une pique, une provocation, un appel à l'aide, une façon pour lui d'essayer de la retenir, sans doute. Un reproche, peut-être. C'en était un, après tout. Néanmoins, elle reposa le regard sur lui avant de retirer doucement ses mains de son manteau. Elle avait voulu répondre quelque chose, mais les mots n'auraient su panser des blessures dont elle ne se pensait pas responsable. Et pourtant, elle l'était. Elle le voyait, à son expression. Il ne pouvait rien lui cacher, il ne pouvait pas mettre de barrières, entre eux. Elle fit un pas dans sa direction, et glissa ses doigts contre son poignet, le forçant à lâcher sa cigarette. Elle n'aimait pas le voir fumer, elle n'aimait pas savoir qu'il se détruisait. Elle le faisait bien assez pour eux. Elle le força à approcher sa main, à la poser contre son ventre, et l'observa avec un air si sérieux et si doux à la fois, c'en était troublant. « Tu en fais partie. Je ne m'éloigne pas. » Elle articula, avec soin, alors qu'elle ne se forçait pas à prendre un air convainquant, elle en était convaincue. Il n'avait pas besoin d'être le père, le parrain, l'oncle ou quelque chose dans le genre pour en faire partie. Saturne avait raison, la team était un genre de famille. Une famille pour les âmes brisées, pour les âmes esseulée et terrifiées. Une famille qu'elle se devait de mener à la perfection, et ça passait par... « Je crée. Je m'engage à ce que la perfection dont nous avons rêvé vienne au monde... » Et ce n'était pas une question de parent, elle ne se considérait pas comme parfaite, tout comme elle ne considérait pas Arzhael comme tel. Mais leur enfant le serait, parce qu'il vivrait dans ce nouvel univers dont elle ouvrait les portes, à présent. Elle extirpa une petite ball de sa poche et la glissa dans la main libre de Deimos, instaurant un contact entre leurs peaux, un contact qui lui fit ressentir tout un tas de choses qu'elle s'efforçait d'annihiler de son esprit. Tant bien que mal. C'était la ball de la petite Medhyena chromatique qu'elle avait capturée, un peu plus tôt dans la soirée. Un air de renouveau s'élevait, et elle se sentait mieux que depuis des semaines, en vérité. « Je ne lui ai pas donné de nom, j'ai pensé que cela te revenait. » Elle eut un bref sourire, gardant ses doigts serrés autour de sa main posée sur son ventre, sans vraiment s'en rendre compte à présent. Elle semblait si déterminée. « Je ne serai jamais loin. » Et elle ne l'était jamais vraiment, incapable de se défaire de cette gravité qui les ramenait toujours l'un vers l'autre, de cette gravité qui les éloignait toujours lorsqu'ils flirtaient avec les limites, inlassablement, comme les vagues caresses le sable, sans jamais rester, sans jamais se reposer.