Le crissement de mes pas sur le tapis de feuilles mortes est le seul bruit qui vient perturber le calme presque assourdissant de la forêt. Un lieu magnifique, vraiment. Mystique, même. Dès que j’en ai entendu parler, en ville, j’ai su qu’on y trouverait quelque chose. Je ne sais pas encore quoi, mais quelque chose. C’est l’instinct d’explorateur, ça. Mine de rien je commencerais presque à croire à mon propre mensonge. C’est si facile de se prendre au jeu, de s’imaginer un passé plus glorieux que celui de la Tour Radio. Même si pour le moment, l’exploration ne me réussit pas plus que ça. Je n’ai rien découvert d’incroyable ou d’inexpliqué. Mais une chose est sûre, je m’amuse beaucoup. Beaucoup plus que si j’étais resté à Doublonville à promener des Couafarel ou à vendre des arrosoirs. Quelle ville de vieux, sérieux.
Je m’enfonce toujours un peu plus parmi les grands arbres. On pourrait facilement penser que l’atmosphère est plutôt inquiétante. Je dois bien avouer que moi-même, je n’étais pas trop sûr de mon coup en venant aussi. Et les forêts abritent souvent des Ursaring, ou des Polagriffe. Ou pire, des Dardagnan. J’adore mon Tutafeh, mais c’est pas lui qui me défendrait contre de telles bêtes sauvages. A la limite, il pourrait créer un écran de fumée assez épais pour nous laisser le temps de détaler. C’est déjà pas mal, remarquez. Et puis, ce sont les risques du métier. Si on nous tombe sur le coin de la figure, ça fera toujours un bon titre pour les journaux. "Un fameux explorateur rentre courageusement de mission malgré ses blessures." Pas mal.
Soudain, Tutafeh vire brusquement sur la droite. Ce n’est pas dans son habitude de prendre les devants, il préfère d’ordinaire flotter à côté de moi. Il y a quelque chose d’intéressant à trouver. Je le suis, et après m’être faufilé entre quelques buissons, je trouve comme une petite clairière, avec, en son centre, un arbre immense. Sans doute le plus grand de la forêt. Le cœur de celle-ci, même.
«
Bien joué, p’tit gars ! »
Impossible que cet arbre ait eu le temps de pousser alors que l’île est encore si jeune. Il doit y avoir quelque chose de plus. Je m’approche du tronc et colle mon oreille contre lui. Aucun bruit, il est plein. Bon, ce n’est pas ici qu’on trouverait l’entrée d’une crypte secrète. Je tourne autour, gratte le pied de l’arbre pour dénicher quelques racines. Je toque contre le bois, provoquant par la même occasion l’envolée de quelques Prismillon. Rien de caché, il semblerait. Juste un arbre. Mais quel arbre ! C’est le plus grand qu’il m’ait été donné de voir. Ceux du parc naturel de Johto ne sont que des arbrisseaux, à côté. Comment une telle chose a-t-elle pu pousser en seulement cinquante ans ?
Je décidé de m’assoir contre un rocher, à l’orée de la clairière, afin de pouvoir dessiner ce géant. J’aime beaucoup faire des croquis de ce que je vois, c’est beaucoup plus personnel qu’une photo. J’affute mon crayon avec mon couteau et je commence à tracer les premiers traits tandis que Tutafeh se promène aux alentours. Le temps passe, et j’ai de plus en plus de mal à percevoir ce que je dessine. Je lève les yeux de mon croquis pour découvrir que le soleil est quasiment couché. Oups. Ça va pas être une mince affaire de retrouver son chemin, maintenant. Je me lève et range mes affaires. Si seulement j’avais une carte… Oui mais voilà, je l’ai encore oubliée sur la table de la cuisine, bon. On va pas en faire toute une histoire. Puis de toute façon, une aventure où l’on sait où l’on va, c’est pas une vraie aventure.
La brume commence à recouvrir la forêt. Intimant à mon Pokémon de me suivre, je commence à partir par là où nous sommes arrivés. A moins que nous ne soyons arrivés de l’autre côté ? Par la gauche, peut-être ? Bon, tant pis. Je me lance, et on verra bien.
…
Plusieurs heures plus tard, il est temps de faire le point. On est perdu de chez perdu. Finalement, je m’assois sur un tapis de mousse, et sors quelques snacks pour prendre un semblant de repas. Ce n’est pas bien grave. Il faut attendre qu’un Ranger passe, au petit matin. Ce n’est pas notre première nuit dehors.
«
C’est de ta faute, ça… » je lance à Tutafeh entre deux bouchées. Et lui de faire volte-face et de partir, sans même me prévenir. Ça va, je déconnais ! Depuis quand il est devenu aussi susceptible, celui-là ? Dans un soupir, je me relève péniblement.
«
Allez, reviens, je rigol- … » J’aperçois soudain ce qui a attiré l’attention de mon Pokémon, qui revient se placer à côté de moi au même moment. Quelque chose se déplace. Je dis quelque chose, parce que même si on dirait une forme humaine, ça ressemble plus à un spectre qu’à quelque chose de bienveillant. Ramassant mes affaires à la va-vite, je tente de suivre discrètement cette apparition.
Pour une curiosité, en voilà une. Peut-être un rapport avec l’arbre géant ? Ou peut-être pas du tout, en fait. J’ai rarement entendu parler de spectres qui ont pour passion de faire pousser des arbres. Le plus silencieusement possible, nous suivons le fantôme. Déjà, il y a quelque chose de rassurant, c’est que la lanterne est portée par un simple Roucool. C’est moins effrayant qu’un Corboss à trois têtes venu directement des Enfers, ou que sais-je. Et puis, il y a autre chose aussi…
«
Ça sautille, un fantôme ? » je chuchote à Tutafeh. Mais la réponse vient d’elle-même : bien sûr que non, bougre d’idiot. Je lance un regard entendu à mon Pokémon et, faisant attention à bien annoncer mon arrivée avec des bruits de pas prononcés, je m’approche.
«
Bonsoir ! …Sympa, la robe. » Ah ouais, c’est un peu gênant, quand même.
© Gasmask