Cassidy avait beau n'avoir que peu d'amis, elle avait connu énormément de gens. Elle en connaissait de Kanto, comme Butch; des qu'elle avait presque toujours connus, qui l'avaient vue grandir, essuyer quelques échecs capillaires, prendre peu à peu l'assurance qu'on lui connaît aujourd'hui. Elle en avait connus d'autres à Johto, quand elle était de passage, suivant déjà les moindres pas, les moindres ordres d'Aldo et de la Team Rocket. Elle les avait rencontrés brièvement, n'avait pas pu les côtoyer plus d'un mois chacun, passant rapidement de ville en ville, de missions en missions, de pokémons en pokémons. Elle s'était engueulé avec certains, elle en avait apprécié d'autres; Cassidy avait beau avoir une piètre opinion d'autrui et être favorite pour le prix de Miss Méprise Miranoir le jour où celui-ci sera mis en jeu, une part d'elle appréciait les gens. Elle ne pouvait que regretter, maintenant qu'elle ne voyageait plus autant, de ne plus découvrir un panel de gens, sans cesse renouvelable et renouvelé. Avec le temps, les gens devenaient un peu fades; elle reconnaissait en la plupart des habitants un schéma qu'elle avait déjà vu des milliers de fois. Elle retrouvait les mêmes démarches, les mêmes attitudes lassantes, sans aucune nouveauté.
Parmi ses rencontres passées, avant de venir se réfugier sur l'île, elle avait bien entendu croisé quelques conquêtes – des amours d'étés, en quelque sorte. Elle avait un peu tout exploré, plus ou moins innocemment et avec plus ou moins d'entrain.
Et parmi ces rencontres éphémères, il y avait Sirius. Elle n'avait pas passé plus de temps avec lui qu'avec un autre, mais il était un peu plus spécial – Sirius aussi courait à travers les régions, quand bien même leurs motivations étaient différentes. Il avait quelque chose de plus, que d'autres n'avaient pas, une petite lueur au fond des yeux; Sirius avait la détermination suffisante pour déplacer des montagnes, décrocher la lune et plus encore. Il avait une hargne qu'elle enviait, un air un peu impertinent qui l'amusait. Sirius était adorable et adorablement innocent. Cassidy était resté quelques jours avec lui, quelques semaines peut-être – elle n'était plus sûre –, mais elle se souvenait de lui avec une certaine affection. Elle était sûre, pour une raison qui lui échappait, que même si leurs lèvres ne s'étaient jamais touchées, ils auraient pu s'entendre à merveille.
Et puis Sirius avait disparu. Elle ne savait même plus de qui elle l'avait entendu. Ça n'était peut-être rien de plus qu'une rumeur, peut-être même à propos de quelqu'un d'autre, mais elle avait la conviction qu'il s'agissait bien de lui. Marchant en suivant bien ceux qui partageaient le même uniforme qu'elle, Cassidy avait baissé la tête quand la pensée d'un Sirius qu'elle ne reverrait jamais lui traversa la tête. La gorge serrée, elle ne s'était pas arrêté une seule fois, concentrée surtout ce qui lui passait devant les yeux – même ses chaussures lui avaient paru follement intéressantes.

Assise à la terrasse d'un café de Saprule, Cassidy sirotait un thé frais. Elle n'avait pas d'uniforme aujourd'hui, et avait revêtu ce qui à priori allait le moins la faire mourir de chaud dans cette ville de malheur – elle avait eu un business ici dans la matinée, et un manque d'envie de faire la route jusqu'à chez elle l'avait pris. Skrappy endormi sur ses genoux, elle n'osait pas bouger depuis quelques minutes de peur de le réveiller et restait calmement posée à observer les gens.
Comme si le destin faisait bien les choses, pour une fois qu'elle était ici, un visage attira son attention. Elle réveilla Skrappy sans attendre, se levant en vitesse pour partir à la poursuite de quelqu'un qu'elle avait à peine aperçu, de loin. Ça n'était peut-être qu'un mirage porté par la chaleur de Saprule, mais elle prenait le risque de paraître idiote cette fois-ci. Il ne lui était encore jamais arrivé de voir un fantôme.
Elle avait traversé la route sans même regarder avant, entendant tout juste les petits pas de son pokémon à sa suite, paniqué à l'idée de la perdre – elle qui s'assurait toujours qu'il reste à ses côtés de s'en souciait même pas à ce moment. Les talons de Cassidy claquaient sur le sol en béton, jusqu'à rattraper la silhouette qu'elle avait crue irréelle. Elle accrocha son bras, le faisant tourner de force. Et son souffle se coupa.
Il n'était pas mort, Sirius était bien là; tout aussi vivant qu'elle, voire plus en cet instant. Cassidy avait été le doduo d'une farce bien macabre.
Ses sourcils se froncèrent, presque par réflexe. Il n'était pas mort. Ni une ni deux, Cassidy écrasa sa main contre la joue de Sirius, elle-même surprise de son coup. Elle lui en voulait, à en crever elle-même; et malgré tout, contemplant la joue rougie de son ancienne conquête, elle ne put se retenir – Cassidy fendit son visage d'un faible sourire avant de plonger dans les bras de Sirius.

C’était comme revenir douloureusement en arrière. Perdue dans les bras devenus trop grands de Sirius, Cassidy se sentait partir cinq ans plus tôt, dans un climat nettement moins chaud, nettement moins… exotique.
Sirius avait changé, peut-être trop, mais pas assez pour qu’elle ne le reconnaisse pas. Il gardait ce quelque chose qu’elle n’attribuait qu’à lui. Un genre d’aura qui émanait de sa grande silhouette perdue sous les couches de tissu de différentes intensités de noir. Elle reconnaissait son parfum avec nostalgie, soupirait doucement contre lui. Dieux qu’elle le haïssait - à peu près autant qu’elle l’aimait de le savoir en vie. Il réveillait en la sbire de la Team Rocket un paradoxe éternel.
Je pensais pas te trouver ici... Après un - long - moment à rester doucement contre lui, ignorant les râleries des passants obligés de dévier leur route pour éviter de rentrer dans ce qui ressemblait à s’y méprendre à un couple, Cassidy s’écarta légèrement. Elle garda ses mains agrippées à la taille de Sirius, presque comme si elle en avait besoin plus qu’envie. Elle renifla, comme une enfant, avant de prendre la parole. Je ne pensais plus te trouver du tout... Elle qui était devenue si cinglante, rancunière et mauvaise avait l’air d’avoir tout évacué en un simple coup. Elle le regardait avec les mêmes yeux doux qu’il y a cinq ans. Comme s’ils ne s’étaient quittés qu’hier.
Beaucoup de choses lui passaient en tête. Pourquoi, forcément. Pour qui, peut-être. Elle se demandait, si elle lui avait laissé un moyen de la contacter, s’il l’aurait fait. Elle se demandait si c’était lié à sa soeur disparue, qu’il cherchait déjà à l’époque. Elle se demandait s’il était là provisoirement, ou si elle pourrait le revoir d’autres fois; s’ils allait disparaître à nouveau et si cette fois ça sera pour de bon; s’il prendrait la peine de la prévenir. Elle se demandait si tout ça avait, au bout du compte, une quelconque importance. Probablement pas, lui répondait une voix dans un fond de sa tête. Toutes les questions n’étaient pas faites pour avoir des réponses - et si elle n’en avait pas, elle se convaincrait qu’il est tombé sur les mauvais gens au mauvais moment et a été forcé d’une manière ou d’une autre de faire croire à sa mort. Elle se convaincrait qu’il a parfois pensé à elle avec un léger sourire pour étirer ses lèvres, comme elle l’avait fait. Elle ne détestait pas l’idée de laisser une part de mystère flotter autour du jeune homme, de garder une part inconnue. Elle avait toujours trouvé ça attirant - elle qui aimait tout savoir tout le temps se rendait compte, en y réfléchissant bien, que chacune des personnes avec qui elle était sortie avait cette part inconnue, ce quelque chose qu’elle ignorait. Avec un peu de chance, ce mystère s’averait être une grande fortune - ça n’était jamais arrivé - et avec un peu moins de chance, un passé durant lequel l’autre pensait que la magie était un bon choix de carrière, et qu’un smoking à paillettes bleu nuit était un choix de costume de scène judicieux - c’était arrivé.
Ses mains serraient sans qu’elle y fasse attention le haut de Sirius, alors qu’elle se hissait sur la pointe des pieds - même perchée sur ses talons, elle restait trop petite face à lui. La comédienne hésita un instant, le scrutant de près, avant de fermer les yeux et de l’embrasser avec toute la douceur du monde. Elle était si différente de sa personnalité habituelle que même Butch - surtout Butch - ne l’aurait pas reconnue. Elle laissa s’éterniser un peu le baiser, allant balader une main contre la nuque de Sirius, avant de se séparer de lui. Tout allait un peu vite, mais ça avait toujours été comme ça entre eux. Ils n’avaient jamais pris le temps de se poser pour quoi que ce soit, quand bien même leur relation n'était rien de plus qu’une amourette éphémère. Elle prit un instant sans bouger avant de rouvrir les yeux et de l’observer à nouveau, les lèvres étirées en un sourire sincère. Rebienvenue parmi les vivants.